jeudi 17 mars 2011

L'immarcescible mélancolie de l'hiver (Anatole et les pains de seigle)


C'est un nouveau paysage urbain qui est désormais mon lot quotidien : deux longues cheminées crachant leur fumée grise sans discontinuer, le flot incessant des automobiles sur le périphérique, le chantier du tramway, les multiples grues qui servent à construire je ne sais quoi de l'autre côté des Maréchaux. Des journées entières au septième étage d'un grand bâtiment en verre au milieu de nulle part. Couloirs déserts et froids, ascenseurs incertains, cantine immonde (malgré la gentillesse du cuistot, qui propose toujours de la sauce avec les frites).
Je ne tiendrais évidemment pas sans mon kit de survie, composé de chocolat Le Roux, gianduja, petits sablés, capsules de café pour garder les yeux ouverts, et beaucoup de thés (il y a notamment un thé vert au sarrasin et matcha au goût intense, recommandé par le charmant monsieur du Issé Saint Germain). J'ai apporté des chocolate crinkles la semaine dernière, ils n'ont pas eu le succès escompté : il va falloir persévérer...

La vie, la vraie, ne reprend qu'une fois le soir tombé, et en fin de semaine. C'est peu.
Le premier samedi, j'ai trouvé le réconfort dans un bol de udon brûlant, précédé d'un sushi à la vapeur dans sa boîte carrée et d'une petite assiette de tonkatsu. Sur mon conseil, mon poulet a opté pour un donburi avec des tempura (tendon) : un plat gai, coloré, et délicieusement croustillant. Avec l'assiette de légumes de Rose Bakery, c'est un des rares plats, à ma connaissance, capables de donner réellement ENVIE de légumes, de les rendre appétissants et de faire en sorte que vous en demandiez encore. Une vraie gageure (prononcer "gajure", et non pas "gajeure", quelle horreur). Mais le meilleur était à venir : après avoir poliment décliné les propositions de dessert, nous avons filé au Stube, dans la rue d'à côté, pour prendre des tartes (citron-amande et pommes-noix-cannelle), et nous les avons dégustées avec café et chocolat chaud, à une petite table de jardin aux Tuileries, sous un soleil radieux. Je me suis dit que la vie devrait toujours être ainsi.
La journée s'est poursuivie sur des carnets de voyage, longuement contemplés. Devant les dessins à l'encre marron et l'écriture très travaillée de Guillaume Reynard, les pages colorées et foisonnantes de Delphine Dussoubs, ou les vignettes pleines d'humour de Nicolas Jolivot, on se sent tout riquiqui-minuscule (un peu plus tard, je me suis brusquement souvenue que j'avais jadis découpé des illustrations de Guillaume Reynard dans un magazine, comme quoi il n'y a pas de hasard). Mais tout cela eut un effet très stimulant et me donna envie de ressortir illico plumes, encres et pinceaux...
Puis, il y eut les éructations comiques d'un génial Jeff Bridges face à une gamine avide de vengeance (personnage assez improbable, si on réfléchit bien). J'ai été rassurée de constater que les frères Coen pouvaient encore faire de bons films, ce dont je commençais à douter sérieusement depuis leurs récentes daubes (bon d'accord, je n'ai pas vu No Country for Old Men... mais je n'éprouve aucune attirance pour les psychopathes, quelle que soit leur coupe de cheveux).

Du dernier week-end, je garde le souvenir d'emplettes totalement déraisonnables et d'une part de gâteau à l'orange dégustée à la terrasse du Café Suédois, un gâteau qui vous donne l'impression de manger du jus d'orange : la première bouchée est surprenante de fraîcheur. C'est divin.
Pour tout vous avouer, il y eut beaucoup d'autres pâtisseries, mais je vous ferai grâce de la liste (qui est proprement indécente).


Il m'a fallu du temps pour me familiariser avec Anatole, pour l'apprivoiser, le comprendre. Je ne suis pas toujours très rigoureuse dans ma façon de procéder, et les repas sont loin d'être réguliers (imaginez un peu ce que cela donnerait avec un bébé... Il y aurait du souci à se faire), mais après plusieurs fournées de baguettes un peu ratées, un cauchemar des plus traumatisants dans lequel Anatole se divisait en quatre morceaux qui prenaient vie, sortaient de leur bocal et devenaient des monstres informes, après des tâtonnements bi-hebdomadaires, je commence à récolter les fruits de ma persévérance : le 3e essai de pain de seigle fut le bon. Mie dense et bien alvéolée, bon petit goût de seigle... Je ne vous dis pas à quel point ce pain est exquis, tartiné de beurre salé... Pour ne rien gâcher, il se passe de pétrissage, de pâte qui colle aux doigts, de courbatures aux bras, tout ça, tout ça... Juste du temps, de l'organisation, et un peu de patience.

Pain de seigle au levain ultra simple
(recette trouvée chez Küchenlatein et un peu modifiée)


190 g de levain à 100%, rafraîchi environ 6h heures auparavant* (initialement : du levain de seigle)
300 g d'eau tiède (filtrée)
210 g de farine T65 (idéalement : bio et moulue à la meule de pierre)
210 g de farine de seigle (bio également)
10 g de sel gris de Guérande

Dans un saladier, mélanger tous les ingrédients jusqu'à ce que la farine soit bien incorporée. Facile.
Couvrir avec un torchon ou un film alimentaire et laisser lever pendant au moins 3 heures : il faut que la pâte double de volume.
Transférer la pâte dans un moule à cake (pas trop grand) recouvert de papier cuisson, et laisser lever à nouveau pendant 3 heures environ, le temps que le pâton se répartisse bien dans le moule et gonfle un peu. Saupoudrer de farine.
Préchauffer le four à 250 °C.
Donner un coup de buée (= jeter de l'eau bouillante sur la lèchefrite et refermer aussitôt la porte du four : la vapeur ainsi créée permet d'obtenir un pain bien doré et croustillant).
Enfourner le pain 10 minutes à 250 °C, puis 40 minutes à 200 °C.
Si vous craignez comme moi que l'intérieur du pain ne soit pas complètement cuit, vous pouvez le laisser dans le four éteint pendant 10 minutes supplémentaires.

Pour me faciliter les choses, j'étale la préparation de ce pain sur une journée (ça peut être une journée de travail), en ayant rafraîchi le levain la veille au soir.
8-9h (avant d'aller travailler) : je mélange les ingrédients, puis je couvre et laisse reposer.
18-19h (en rentrant du travail) : je transfère la pâte dans le moule, puis je laisse reposer à nouveau.
22h : j'enfourne mon pain. Une heure plus tard, il est cuit. Et je me couche en pensant aux magnifiques tartines beurrées que j'aurai le lendemain matin.


* Pour bâtir et entretenir un levain, je laisse des spécialistes vous expliquer comment procéder. Personnellement, je rafraîchis le mien en le nourrissant d' 1-2 c.s. de farine T65 bio + la même quantité d'eau filtrée toutes les 36h au moins. Avant de l'utiliser, je lui donne un voire deux gros repas à 6h d'intervalle, c'est selon, en m'arrangeant toujours pour que, une fois la quantité nécessaire prélevée pour faire du pain, il me reste au moins 1-2 c.s. de levain pour pouvoir continuer. Quand j'ai un surplus plus important, je le mets dans un bocal (fermé) qui reste au réfrigérateur, parce que ça peut toujours servir...
Ma façon de faire n'est pas très orthodoxe, mais force est de constater que pour l'instant, Anatole se porte bien et qu'il commence à faire de jolis pains.

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Je ne peux pas clore ce billet sans évoquer la catastrophe sans précédent qui ravage le Japon, et qui me déchire le coeur. Avant-hier, un nouveau séisme a frappé Shizuoka, au sud-ouest de Tokyo : je pense très fort à la benjamine de la famille N., son mari et leur bébé, et au reste de la famille N., en espérant que tous sont sains et saufs. En espérant que la catastrophe prendra fin bientôt et que les Japonais se relèveront de cette dramatique épreuve.