dimanche 27 mai 2012

On voit l'écriture blanche des années empilées




Ce dimanche d'entre-deux-tours, nous n'étions que trois à table pour le déjeuner : ma mère, ma sœur et moi. À la fin du repas, moins copieux que d'ordinaire, ma sœur m'a demandé si je connaissais Carl Marletti. Et moi de lui répondre oui, bien sûr. Et de lui parler aussitôt de Pain de sucre, de Pralus et sa praluline, des magnifiques millefeuilles de Jacques Génin, des merveilles de la Pâtisserie des Rêves...
Je lui montrai les photos du blog Raids Pâtisseries ainsi que les vidéos du site de la Pâtisserie des Rêves... Tiens, regarde ci, tiens, regarde ça... Et ce fut le début de la fin.
Après une bonne demi-heure passée à saliver devant la tarte au chocolat de Christian Constant, la fabrication de la Tarte Tatin ou du Paris-Brest de Philippe Conticini, et toutes les photos de gâteaux tous plus appétissants les uns que les autres, nous n'en pouvions plus.
"Et si on allait à la Pâtisserie des Rêves, là, tout de suite ?"

Une heure plus tard, nous nous partagions, toutes les trois, un Grand Cru, une Tarte Tatin, un Paris-Brest et un millefeuille dans le chic salon de la rue de Longchamp.
J'avais oublié à quel point le Paris-Brest était divin et à quel point j'aimais ce genre d'imprévu.

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Le dimanche suivant, déjeuner rituel de jour d'élection au 14 juillet, près de notre ancien appartement et de notre bureau de vote. L'ambiance était joyeuse, la côte de bœuf généreuse et les frites toujours aussi délicieuses — de plus, le rab nous est toujours gentiment offert. Pour le dessert, deux profiteroles géantes furent partagées entre ma mère, ma sœur, mon frère, mon poulet et moi. Le petit M. — qui a désormais 21 mois — y goûta avec une extrême modération, sans doute gêné par l'amertume du chocolat noir. Il préféra aller voir le petit chien d'une table voisine, où une ancienne championne de tennis déjeunait avec des amis.
Plus tard, c'est lui qui glissa mon bulletin dans l'urne ; mais il fallut l'aider un peu, car il présentait l'enveloppe perpendiculairement à la fente.

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Ces derniers temps, parmi mes compagnons de salles obscures, il y eut : une Allemande en exil, de petits Japonais pleins de rêves secrets, une dresseuse d'orques aux jambes brisées, un boxeur à la fois rustre et plein d'attention... J'ai aimé l'espièglerie et la générosité des enfants partis en expédition pour crier leurs vœux les plus secrets — voir sa famille réunie, par exemple — au croisement des nouveaux Shinkansen. J'ai aimé le visage fermé de Barbara, dissimulant tant de sentiments mêlés, sa solitude, sa révolte intérieure, sa méfiance quasi permanente, mais aussi la tentation de lâcher prise. Je repense aussi avec émotion à une scène de Nouveau Souffle (Atmen, en V.O.), dans laquelle le personnage interprété par Georg Friedrich, employé des pompes funèbres, fait la toilette à une vieille dame qui vient de décéder. Ce personnage assez antipathique et grossier au premier abord, et qui malmène son jeune collègue avec un plaisir non feint, montre, à ce moment-là, une douceur et un respect infinis dans ses gestes. C'est bouleversant. La scène du nœud de cravate aussi, est belle, par son côté symbolique. En fait, j'ai trouvé Georg Friedrich bien plus intéressant et plus touchant dans ce rôle secondaire que dans L'amour et rien d'autre (Über uns das All, en V.O.).

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Un jour, le passé a ressurgi sous la forme d'un courriel. Celui d'une ancienne camarade de fac que je n'avais pas vue depuis dix-sept ans, mais dont j'ai immédiatement reconnu le nom. Après quelques échanges de mails, nous nous sommes retrouvées un soir dans un bar à tapas, où nous avons pris un verre et partagé une assiette de quesadillas, tout en nous racontant nos parcours respectifs. J'ai eu le vertige en pensant à tout ce temps écoulé et je me suis demandé si je pourrais un jour cesser de chercher à convaincre les autres que je n'ai pas tout raté.