samedi 14 mai 2011

Combien de temps avant le feu de joie et le soleil à plein temps ?


Mercredi, je vais chercher mes sacs de fruits et légumes chez la fleuriste. Des pivoines couleur corail, encore fermées, attirent mon regard : la fleuriste (qui aime bien les feuilles de ginkgo que j'ai aux oreilles) me confie qu'elles vont s'ouvrir très vite et changer de couleur tous les jours. Comment résister ? Je lui en prends un petit bouquet.
Une heure après, elles sont déjà ouvertes.

Jeudi, les pivoines sont d'un rose éclatant.
Avant le théâtre, j'arrive un peu en retard au Kunitoraya, mais les zaru udon, les tempura et le katsudon sont toujours aussi délicieux. J'aime cette idée rassurante d'un endroit où les plats sont invariablement bons. Mon poulet, qui ne m'a pas vue le matin, me trouve très jolie dans ma robe noire inaugurée pour l'occasion.
Un peu plus tard, le rideau rouge se lève, et je découvre un Feydeau dont l'humour linguistique m'enchante au plus haut point (la leçon de phonétique du 3ème acte, en particulier, est un sommet de drôlerie — n'oubliez pas que c'est une linguiste qui vous parle). À la fin de la pièce, le visage ravagé par les larmes, je ne résiste pas à l'envie d'aller retrouver le Général au Nemours pour lui dire à quel point j'ai été soubjouguée par son interprétation.
Impatience, maintenant, de le voir dans le rôle de Mackie Messer.

Vendredi, les pivoines commencent à pâlir très légèrement.
A 12h15 très exactement, je saute dans un taxi pour aller retrouver deux amies un peu américaines au Cartouche Café. Discussion à bâtons rompus sur les chambres de bonne parisiennes, les cuisines-placards, les concours aux grandes écoles, et puis l'Italie aussi. L'espace d'un repas, j'oublie l'ambiance sinistre du bureau et les collègues rustres. Je repars avec un beau cahier rouge contenant des recettes de biscuits calligraphiées et illustrées à l'ancienne, façon cahier d'écolier ; vais devoir me mettre à l'italien.

Samedi, le rose pâle des pivoines vire au jaune.
Après une longue sieste et une interminable séance d'habillage (question cruciale : comment faut-il s'habiller pour aller voir Benjamin Biolay ?), au terme de laquelle j'opte pour une sage robe en lin beige, nous nous mettons en route pour le MAC/VAL.
D'ordinaire plutôt rétive à l'art contemporain (et perplexe face aux peluches en lambeaux d'Annette Messager ou au tombeau de Zgougou par Agnès Varda — que j'aime bien pourtant), je suis bouleversée par la série de clichés de Michel Aguilera représentant des vêtements déchiquetés-brûlés de Hiroshima.

Yamamoto Tastsuya 14 ans
Tatsuya, 14 ans, collégien en 2ème année, se trouvait dans la cour de récréation de l'école lorsque la bombe explosa. Brûlé sur tout le corps il tenta désespérément de fuir par la route détruite, mais s'effondra à mi-chemin de Kusatsu où se trouvait la maison. Il fut transporté à son domicile par des voisins qui le reconnurent. La peau collée aux vêtements par les brûlures, sa mère dut le dévêtir avec des ciseaux. Comme il n'y avait pas de médicaments, il fut traité à la teinture de pomme de terre et on devait chaque jour lui retirer une à une les larves de mouches qui se développaient sur ses plaies infectées. Tatsuya resta immobilisé ainsi plus d'un mois et mourut en appelant sa mère, le matin du 16 septembre.


Ce soir-là, dans les jardins du MAC/VAL, tout absorbée par la présence de B. Biolay dans les parages, puis sur scène, je ne prête qu'une vague attention au bon miam qui nous est proposé. Les cocktails alcoolisés auront un formidable effet désinhibant.


Dimanche soir, les pivoines devenues jaune clair, laissent peu à peu tomber leurs pétales.
J'ai passé une merveilleuse semaine.

27 commentaires:

mamzelle carnetO a dit…

quelle belle semaine rythmée par les couleurs de tes pivoines et tes changements de robes

Cécile a dit…

J'aime beaucoup tes rétrospectives hebdomadaires. Impression, cependant, que mes semaines sont, à côté des tiennes, routinières et semblables les unes aux autres...
Pèle-mêle: les pivoines sont parmi mes fleurs préférées, leur vouais des soins dévots ds mon ancien jardin;envie les discussions partagées avec ces amies presque américaines, me serais volontiers téléportée qqs instants parmi vous;Benjamin aurait donc déposé sa signature sur ton croquis? Me suis bcp régalée par le passé de l'humour des mots de Feydeau, ai même joué deux de ses pièces. Vingt ans après, je rêve toujours qu'à quelques secondes de rentrer sur scène, je ne connais pas un traître mot de mon rôle, il faut croire que l'angoisse de l'oubli a bel et bien existé.
Que la semaine à venir soit aussi belle pour toi que celle que tu viens de vivre.
Je t'embrasse.

sylvie a dit…

Bétasse que je suis. Je vous lisais ailleurs, avant (silencieusement) et suis tellement heureuse de vous retrouver (seulement maintenant !). Donc, je me retire du silence et moi qui ne suis pas du tout rétive à l'art contemporain, je suis aussi bouleversée par les images que je vois ici.

Mingou a dit…

Mamzelle carnetO : Oui, ce fut vraiment une très belle semaine. Les pivoines nous ont enchantés. Et j'étais ravie de pouvoir inaugurer cette très classique robe noire achetée il y a un an (sur internet), et qui était trop serrée, donc impossible à mettre à l'époque...

Cécile : Je suis sûre que le quotidien avec une petite puce t'apporte également beaucoup de beaux moments.
Les pivoines font partie de mes fleurs préférées. Et elles sont très représentées dans la peinture chinoise traditionnelle.
Benjamin B. a bien déposé sa signature sur mon petit dessin. J'avoue que j'ai fait ma groupie :-> Il était si accessible que j'ai pu l'aborder et échanger quelques mots avec lui.
C'est amusant, ces cauchemars récurrents. Moi, presque vingt ans après, je rêve encore que je me rends à un contrôle de maths ou de physique-chimie sans avoir rien révisé (et sans même avoir rattrapé les cours que j'ai séchés). Ca m'arrivait même une fois passée de l'autre côté de la barrière, à l'époque où j'enseignais à la fac.
Je rêve aussi régulièrement que je perds mes dents, ce qui se comprend sans peine quand on connaît mon passé dentaire quelque peu douloureux. Hum.
Profite bien de ces moments précieux avec ta petite puce.
Je t'embrasse.

Sylvie : Désolée pour le semage de lecteurs... L'avantage, c'est que vous avez plein de lecture maintenant :-)
Chaque photo est accompagnée d'un petit texte racontant le calvaire vécu par la personne qui portait ce vêtement le jour de l'explosion de la bombe. Ce qui rend l'événement très concret et réel. C'est très poignant.

Artsakountala a dit…

:-) :-)

Emily a dit…

Ton billet est aussi délicat que les pétales de pivoines, une de mes fleurs préférées mais je ne savais pas qu'elles changent parfois de couleur aussi, c'est charmant. J'aurais bien aimé t'accompagner pour toutes ces sorties surtout pour le Feydeau (dont je n'ai vu des pièces qu'en anglais, c'est dommage. L'Opéra de quat'sous est souvent au Berliner Ensemble, le théâtre de Brecht avec une mise en scène formidable de Robert Wilson. Ce serait chouette de le voir ensemble un jour.

(les chéchés) a dit…

les pivoines sont mes fleurs préférées. j'ai un souvenir de bouquet très particulier qui mêlaient leur coeur rose, pâle, fushia, poudré.

les photos des vêtement d'hiroshima sont à la fois très belles et terrifiantes. je suis toujours nulle pour expliquer ce que je ressens... mais c'est troublant, touchant...

heureuse d'une belle semaine mingouesque! te souhaite d'aussi chouettes à venir... ^-^

Dévorer les livres a dit…

Donc tu nous conseilles le Feydeau, aïe, mes dents! Aller au français s'inscrit toujours dans un petit cérémonial festif (pour moi: oyakodon-jardin-buren-bouche de métro-bijoux) et me fait penser que j'irai bien voir l'expo Otoniel.
Grâce à un désistement, j'ai vu Rhinocéros au Théâtre de la Ville la semaine dernière, c'était génial! S'il reste des places, je te le conseille vivement.bises

Artsakountala a dit…

PS : Trop classe, l'autographe !

Morning g a dit…

C'est drôle, il y a 2 semaines belle-maman m'a acheté des pivoines corail au petit marché en bas de chez nous. Une couleur magnifique et inédite en matière de pivoine (pour moi). Sauf que le fleuriste ne lui a pas dit que la couleur allait changer...qui est passée du corail pétant le samedi au blanc rosé le vendredi...j'en suis venue à douter de naturalité de la couleur initiale. Parce que ça me rappelle des expérimentations façon Tistou les pouces verts de mon enfance : on mettait des fleurs blanches (type Impatiens) dans une eau teintée à l'encre, et en quelques heures la couleur migrait dans les pétales de la fleur. Pour en avoir le coeur net, la prochaine fois je teste le jus de betterave dans le vase !

En parlant d'expo, je recommande vivement Watchers, des photos d'Olivier Culmann au Pavillon Carré de Baudouin (rue de Ménilmontant). Il y a une partie sur New York à l'hiver 2001-2002 et une autre sur les TV watchers dans différents pays où il a voyagé. Les 2 sont vraiment chouettes.

ore a dit…

Très joli récit! Que de poésie dans cette semaine...
Les pivoines font parties de mes fleurs préférées. Je n'en ai jamais vues de couleur corail, ça doit être magnifique.
Ravie que tu aies rencontré B.B.!

Gracianne a dit…

Je n'arrive pas a ecrire (malgre les pivoines) - j'ai le coeur trop serre par le texte sous les photos. Deja tout a l'heure quand j'ai lu ca, un frisson m'a glacee.
Ca fait partie de mes cauchemars recurrents.

avis a dit…

j'aime beaucoup les pivoines :)
je devrais m'offrir des fleurs plus souvent mais je n'y pense pas :(
l'expo avait l'air bouleversante.
je suis heureuse de voir que tu a passée une bonne semaine.
bises
manuela

Mingou a dit…

Artsakountala : C'est exactement ça :-)

Emily Vanessa : Feydeau en anglais, ça doit être amusant :-)
Je ne me souviens pas avoir déjà vu L'Opéra de Quat'sous au théâtre. En revanche, j'ai vu le film de Pabst quand j'étais jeune, et beaucoup écouté les chansons (j'adorais le Moritat von Mackie Messer, et le Kanonensong).

Les chéchés : Oui, les photos étaient terrifiantes. Elles m'ont pétrifiée...

Dévorer les livres : Oui, je conseille le Feydeau, mais je crois que c'est archi-complet...
Pour nous, c'était Kunitoraya-Stube-Français (pas le temps de flâner entre le dîner et le théâtre...)
Merci pour le tuyau ! Je n'ai jamais vu Rhinocéros au théâtre... Il faut dire que je suis plus du genre à lire les pièces qu'à les voir... (je sais, c'est bizarre...)
En revanche, je n'aime pas du tout ce que fait Otoniel...

Artsakountala : Je sais que ça fait très groupie, mais je m'en fiche :-)

Sovanna : Je suis très intriguée par ce que tu me racontes... J'espère quand même que c'est naturel (après tout, les feuilles des arbres changent de couleur, alors pourquoi pas les fleurs...?)
Tu me tiendras au courant de ton expérimentation ?
Je note, je note ! Il y a tant de choses à voir...

Ore : Merci !
B.B. était adorable. Pas du tout le garçon désagréable pour qui on veut le faire passer.

Gracianne : Un long frisson a parcouru mon corps à la lecture de ces textes... Les vêtements déchiquetés étaient terribles à voir, mais les vêtements intacts aussi (en particulier, plusieurs robes très jolies, qui ne semblent pas rescapées d'une telle catastrophe, tant elles paraissent gaies et légères). Terrible.
C'est quoi, tes cauchemars récurrents...?

Avis : Cette oeuvre était bouleversante, je n'en dirai pas de même pour le reste du musée... Mais rien que pour ça, la visite valait le coup.
Bises.

marion a dit…

Les semaines se succèdent et ne se ressemblent pas
Un grand merci aux pivoines (je n'apprécie pas particulièrement BB)
Des gros bisous

Cléo a dit…

Je découvre ton billet à peine rentrée d'Istanbul La Stupéfiante. J'adore- les pivoines, les longs déjeuners avec les amies qui empiètent sur l'après-midi de travail, B.B et son autographe sur ton dessin.

Gracianne a dit…

Quand j’étais ado, je suis tombée à la bibliothèque sur un livre de photos et de textes de ce genre sur la catastrophe d’Hiroshima. A ce moment là, le Concorde à destination de New York passait tous les soirs au dessus de ma maison, le bruit des réacteurs assourdissant dans le silence, un vrombissement d’abord, et puis plus fort, faisant vibrer les vitres. Et tous les soirs, j’attendais la bombe, l’effet dévastateur. Et puis le bruit s’éteignait, ce n’était que l’avion. Tu vois ?

Quant aux pivoines, on m’a offert les mêmes, très belles, pour mon anniversaire. Elles me faisaient penser aux peintures chinoises. Comme les vôtres, elles ont progressivement changé de couleur. Mais je crois que c’est naturel, j’ai déjà eu des fleurs teintées, elles sont bien plus artificielles (il se peut que celles-ci aient été plantées dans un sol particulier pour être ainsi colorées, c’est possible). En tout cas elles étaient splendides et très parfumées, tout a fait différentes des pivoines rose tyrien de mon jardin.

Chris a dit…

Quel enchantement cette semaine ! Quel plaisir de suivre tes pérégrinations au fil de la couleur des pivoines...on ne peut que se laisser porter...

Natalia a dit…

Les pivoines sont mes fleurs préférées... Pour le reste, ben faut bien l'avouer, je suis horriblement jalouse : des miam miam, du théâtre, des jolies robes et même du MAC/VAL. Plus frustrée de sorties que moi, tu meurs !!! Allez, je ne t'en veux point, tu n'y es pour rien bien sûr. Bises et résiste à l'ambiance délétère du boulot.

Mingou a dit…

Marion : Merci. J'espère que tu vas bien...

Cléo : A ta façon de qualifer Istanbul, je devine que c'était chouette :-) (Me trompé-je ?)

Gracianne : Je vois... Les photos&textes + le bruit assourdissant du Concorde, effectivement, ça devait créer quelque chose d'assez angoissant...

Chris : Merci ! J'essaie de faire en sorte que chaque semaine soit aussi belle... (même si c'est difficile)

Natalia : Oui mais moi, je n'ai pas de mini Kriskou pour égayer mon quotidien ;-)
(Finalement, l'ambiance n'est pas si sinistre que ça, grâce aux filles :-))

Camille a dit…

Mon frère a pris l'habitude de m'apporter des roses, qui n'ont pas du tout la même consistance chromatique. Elles se contentent de faner, lentement.
**
je suppose que tu dois aussi beaucoup aimer la scène 3 de l'acte 3 du bourgeois gentilhomme (U, vois-tu, U, je fais la moue, U.)
****
Comme G., je ne serais peut-être pas allée voir l'exposition. (mais serais bien volontiers venue au Mac/Val)
***
Seuls Sénèque le Jeune et Musset sont joués lors de ma prochaine nuit parisienne. Cela dit, ma grand-mère très au courant m'a dit qu'on redécouvrait Feydeau en ce moment, et que cette pièce ne serait pas la dernière.

Cléo a dit…

Oui j'ai adoré. J'ai été très surprise- et conquise. Des mots là-dessus très vite!

Agnèslamexicaine a dit…

Feydeau et Biolay m'ennuient mais ces photos de vêtements sont vraiment bien importantes, bouleversantes... merci de les avoir postées.

Mingou a dit…

Camille : J'ai lu Le bourgeois gentilhomme il y a plus de vingt ans... J'ai oublié la scène dont tu parles... (c'est le problème avec beaucoup d'oeuvres lues à l'école...)

Cléo : Suis impatiente et curieuse de lire tes impressions stambouliotes.

Agnès : Tant pis... (mais je peux te dire qu'à part quelques adolescents blasés du 16ème, qui étaient plus occupés à envoyer des sms qu'à suivre la pièce, la salle ne s'ennuyait pas du tout - est-ce que tu trouves Feydeau trop populaire ?)

Camille a dit…

Je l'avais apprise par coeur en CM2 (j'avais fait pleurer de rire mon instituteur, joie suprême qui explique certainement pourquoi je m'en souviens encore)
cela dit, je pense que ça te ferait rire. (on peut la lire en intégrale ici : http://fr.wikisource.org/wiki/Le_Bourgeois_gentilhomme

et notamment le fameux Marquise vos beaux yeux d'amour mourir me font :)

Camille a dit…

Forcément du 16ème, les étudiants blasés ? :)

Mingou a dit…

Camille : Oui, mais bien sûr, je la connais cette fameuse scène !
Moi, c'est le monologue d'Harpagon que j'avais dû jouer (et non réciter) en cours de français en 4ème. Je ne me suis jamais tout à fait remise de ce traumatisme...

Forcément du 16ème, non, mais j'ajouterai que près de nous, il y avait aussi des lycéens du 94, et que les plus civilisés et respectueux n'étaient pas ceux qu'on pourrait croire.