mercredi 4 avril 2012

I simply remember my favorite things and then I don't feel so bad (oranges, udon et chioggia)


La première préoccupation de ce mois de mars fut de ne pas sombrer dans la mélancolie. La mélancolie singulière de ceux qui sont au crépuscule d'une longue vie, et à qui les êtres chers manquent déjà. Une nostalgie terrible parce que chaque rencontre, chaque fois est peut-être la dernière. Je n'ai pas cet âge ; pourtant, j'ai entraperçu ce sentiment un soir un peu triste et solitaire, j'ai entrevu ce que pouvaient être la vieillesse et la solitude qui entoure les derniers instants d'une vie. J'ai cru que cette angoisse soudaine, inédite, ne me lâcherait pas. Puis, elle s'en est allée. Il est vrai que les rires et les jeux avec un petit M. espiègle ont aidé.

L'autre préoccupation, plus terre-à-terre, fut de ne jamais manquer d'oranges maltaises et sanguines pour l'indispensable jus du matin — 3 maltaises pour 1 sanguine, c'est le ratio idéal — et d'en avoir en permanence 2-3 kg d'avance. Je ne sais comment est née cette addiction, cette obsession même, mais acheter des oranges est devenue une activité quasi quotidienne. Je passe mon temps à courir les étals des supermarchés, où les aléas de l'approvisionnement me jouent sans cesse des tours : tantôt les stocks de sanguines sont épuisés, tantôt ce sont les maltaises qui viennent à manquer... Il faut alors interroger l'employé préposé aux fruits — "Quand aurez-vous de nouveau des oranges maltaises/sanguines ? Lundi ? En êtes-vous bien sûr ?" Évidemment, le lundi, il n'y aura pas l'ombre d'une maltaise ni d'une sanguine —, et continuer la quête ailleurs... Je crois que la folie me guette.

Avec cette modération qui me caractérise, je me suis déjà rendue au moins quatre fois — dont trois durant la même semaine — chez Sanukiya, depuis que j'ai découvert ce nouveau restaurant de udon, concurrent du Kunitoraya. J'ai succombé à leurs udon généreusement garnis et à leurs fritures parfaites : les kakiagé (galette de légumes et crevette) et nikuoroshi (bœuf et œuf mi-cuit), notamment, sont fabuleux. J'y ai emmené quatre personnes, dont un poulet qui a adoré manger ses tempura en terrasse. Il y eut aussi trois amies qui partagent le même goût que moi pour les japonaiseries (udon, ramen, donburi, poisson cru, wagashi... enfin, vous voyez, quoi). L'une d'entre elles m'a tendu un petit sac des Éditions de Minuit contenant non pas un livre, mais de petites betteraves chioggia cultivées par Joël Thiébault. Elles furent splendides en salade (merci Camille !).

Carpaccio de betterave chioggia


quelques fines tranches de betterave chioggia (les miennes, coupées au couteau, étaient d'une épaisseur affreusement inégale)
un peu d'échalote finement émincée
du poivre noir fraîchement moulu

Pour la sauce :
2 c.c. de sauce soja (Kikkoman, par ex.)
1 c.s. de Melfor
1 c.s. d'huile de noisette

Il suffit juste de disposer harmonieusement les tranches de betterave dans une assiette avec l'échalote émincée, d'arroser de sauce et de saupoudrer le tout d'un peu de poivre (mais pas de sel, étant donné que la sauce soja est salée).
On peut y ajouter des herbes fraîches, mais je n'en avais pas sous la main.

************

En 2001, je m'apprêtais à partir un mois à Reykjavík pour prendre des cours d'islandais et me retrouver dans les paysages de Jóga. Mais le rendez-vous n'eut pas lieu : j'ai préféré Helsinki, le charme finno-ougrien et agglutinant du finnois, l'illatif, l'inessif... et puis aussi Paasilinna, Kaurismäki et Moomin. Expérience que j'ai adorée.
Il m'aura fallu patienter onze ans avant de découvrir l'Islande : ce sera au mois de juin, quand ma mission sera terminée. Vous n'imaginez pas à quel point j'ai hâte — en attendant, pour me familiariser avec les rudiments de l'islandais, j'ai ressorti mon vieux Kauderwelsch, avec la petite cassette audio qui l'accompagne, et il a fallu trouver un walkman qui marche encore, je ne vous raconte pas la galère.
Et ne me dites pas que Reykjavík est entretemps devenue une destination branchée, cela ne me gâchera pas mon plaisir.

23 commentaires:

Gracianne a dit…

Beets þínar eru fegri í hönnun.

Ég elska alltaf Bjork.

Þú trúir að blóð appelsínur á Íslandi?

Dévorer les livres a dit…

Je me reconnais bien dans tes obsessions. Ce week-end, j'ai visité 5 ou 6 supermarchés de la préfecture de Hyogo pour trouver des yuzu (mon poulet à moi travaille en Corée et avait besoin d'aller au Japon pour son visa = ceci explique cela, le concept d'un week-end au Japon pouvant sembler bien bizarre et/ou très snob). J'ai finalement trouvé mes bêtes et les ai faites identifier tant bien que mal par la vendeuse en répétant l'air perdu "yuzu ? yuzu ? yuzu ?". Elle a du se faire la même réflexion que nous face aux japonais en quête obsessionnelle de macarons en France. En plus, c'est même plus tellement la saison.
Super pour ton voyage linguistique! profites bien et écris nous de beaux billets.

Morning g a dit…

Chouette un nouveau voyage ! j'aime presque autant préparer les prochains voyages qu'y être.
Magnifiques ces betteraves ! Je suis une grande utilisatrice de Melfor (une vieille habitude) et de kikkoman (je l'achète au litre - fini les mini bouteilles), mais je n'ai jamais mélangé les 2 --> bonne idée !!

misa a dit…

L'Islande, oh oui ! Cela fait des années que j'y pense, j'ai grand hâte de te lire sur le sujet. (Bravo Gracianne, et côté prononciation, ça donne quoi ?)

ahurie a dit…

Ahah, j'ai EXACTEMENT la même obsession pour les oranges depuis deux/trois ans… d'ailleurs l'arrivée du printemps m'angoisse toujours car les oranges deviennent moins juteuses et moins sucrées : bientôt le retour au Tropicana…
Chaque année pendant 4/5 mois c'est la chasse aux oranges, j'en mets aussi une sanguine pour 3 maltaises et ça part super vite ! Mon bac à légumes rempli d'oranges baisses à vue d'œil, et j'achète un filet dès que l'occasion se présente…

Très drôle de coïncidence :)

Gracianne a dit…

@ Misa, essaie Google traduction, c'est fun et ca donne meme la prononciation. Sur l'islandais, j'ai trouve que la voix etait un peu trop synthetique, mais sur d'autres langues ca marche du tonnerre.

Nouk a dit…

L'Islande j'y suis allée l'été dernier faire la moitié sud de l'ile et les Iles Vestmann. Je suis tombée amoureuse de ce pays, mais je ne t'en dis pas plus, tu découvriras par toi-même :)
(mais si tu veux, j'ai une adresse pour manger la meilleure -paraît-il- soupe de homard à Reykjavik).

Haaa je t'envie, j'ai vraiment envie d'y retourner !

misa a dit…

Et aussi cette mélancolie, tu as si bien mis en mots ce que j'ai ressenti il n'y pas si longtemps. Je me souviens ce froid dans le cœur.

Nilufer a dit…

La mélancolie a aussi semé sa graine en moi.
N'ai pas encore trouvé comment la déraciner...

La chioggia, elle est belle et succulente. Avec de l'huile de noisette, elle devient sublime. Chouette idée.
J'aimerais bien en manger encore.

Et tout comme toi, je rêve de fouler les terres islandaises !
M'imprégner de sa lumière et observer les chevaux sauvages, waouh !
Peut-être en septembre mais crions le pas trop fort.

Tu as bien de la chance :)

Mingou a dit…

Gracianne : Alors, sans tricher, j'ai compris (aux 3/4) la 2e phrase.
Et j'ai été étonnée de voir qu'orange se dit presque comme en finnois (alors que ce sont deux familles de langues différentes).

Dévorer les livres : Oups, je me suis mal exprimée. Il ne s'agit pas d'un voyage linguistique cette fois-ci. Je pars juste une semaine, pour visiter. C'est un peu court, mais je pourrai toujours y retourner...
Le concept d'un week-end au Japon est très snob et très classe. Je t'envie !

Sovanna : Je t'avoue que préparer les voyages m'ennuie un peu, mais impossible de zapper cette étape.
Tu sais, depuis que Loukoum°°° m'a offert un jour une bouteille de Melfor, je n'utilise plus que ça pour mes vinaigrettes. J'adore ! (et d'ailleurs, il faut que j'en rachète)

Misa : Tu ne crois pas si bien dire : la prononciation de l'islandais n'est pas une mince affaire. Dans mon petit manuel, 4 pages y sont consacrées (dont 3 pour les consonnes). Inutile de te dire à quel point je m'amuse.

Ahurie : AAAH, JE SUIS RASSURÉE !

Gracianne : Ça me fait rire, parce que pour le boulot, je suis amenée à utiliser l'outil vocal de Google Translate, et effectivement, c'est parfois très fun.

Nouk : Oh mais si ! Raconte ! Quoi qu'on puisse me dire, je sais que la surprise sera là de toute façon. Et si tu as de bonnes adresses à partager, je les veux bien, s'il te plaît :-)

Misa : Je ne sais pas si j'ai bien fait d'en parler ou non, mais cela fait partie de mon mois de mars. Sur le moment, c'était terrifiant. Heureusement, cela n'a pas duré trop longtemps. Mais tout de même, j'ai l'impression d'avoir perdu une part d'insouciance.

Nilufer : Pour tout te dire, c'est grâce à ce nouveau travail que je peux ENFIN m'offrir ce voyage tant désiré. Je suis sûre que ça me plaira, ce n'est pas possible autrement.
Je te souhaite de pouvoir y aller aussi. (mais tu fais également de beaux voyages qui font envie...)

Nouk a dit…

Comme c'était assez long, je t'ai envoyé un mail avec quelques liens, je n'ai passé que 24h à Reykjavik, un peu court pour visiter beaucoup d'endroits ;)

Gracianne a dit…

Oui, je sais, je triche, mais vraiment cet outil m'eclate. On a l'impression (juste l'impression) d'avoir toutes les langues du monde a portee de voix, d'oreille. Il a beaucoup progresse d'ailleurs cet outil ces derniers mois - bon je ne me base que sur l'anglais, l'italien et l'espagnol, mais je trouve les traductions de plus en plus justes.
Et puis, tu aurais vu toute la bande de copines de ma fille l'autre jour jouer avec - d'elles memes, je ne leur avais rien montre - et s'amuser a traduire "untel est un idiot" dans toutes les langues, ca m'a franchement fait rire.

Cécile a dit…

On a les addictions, les obsessions et/ou les envies qu'on peut (et qu'on veut!). J'aime l'orange sanguine plus que de raison et les avoir à portée de main (= dans mon jardin) et de panier (marché hebdomadaire) m'est toujours apparu comme une chance que j'apprécie à sa juste valeur (j'ai bien à l'esprit qu'il n'en sera peut-être plus jamais question par la suite...).
Je suis contente de savoir que l'angoisse se dissipe.
Je te souhaite d'être émerveillée par ce que tu découvriras de l'Islande, pour ma part je pars dans quelques heures à Istanbul et cela me réjouit: vive les voyages!
Je t'embrasse.

Alizarine a dit…

Très amusant d'apercevoir à travers cet article et les commentaires qu'on partage une obsession avec d'autres ! Je ne sais pas comment je passerais l'hiver sans jus d'oranges fraîches en vérité ? d'autant que je ne les achète que bio, et trouver des sanguines bio ça complique l'affaire.
En revanche je ne connais pas les maltaises, s'agit-il d'une variété ou de la provenance ? ça m'intrigue beaucoup et je me sens un rien neuneu pour le coup, il faut absolument que je découvre ça !

Mingou a dit…

Nouk : Encore merci pour ton long mail, que j'ai commencé à étudier...

Gracianne : Bon, je n'ai pas tout à fait la même utilisation de l'outil et ce n'est en général pas pour des langues que je connais... Mais c'est amusant aussi.

Cécile : Quelle chance d'avoir les oranges dans son jardin ! Leur goût doit être incomparable...
J'espère qu'Istanbul est à la hauteur de tes espérances (tu me raconteras ?).

Ali Gâteau : J'avoue que je ne suis pas aussi exigeante que toi, sinon cela compliquerait encore plus ma quête. Je prends toutes les oranges qui se présentent à moi, bio ou pas...
L'orange maltaise est une variété demi-sanguine, mais d'après l'étiquetage, elle vient souvent de Tunisie.
Il est un peu tard pour y goûter, car elle n'est plus aussi sucrée qu'il y a un mois... Tu risquerais d'être déçue...

Alizarine a dit…

Merci pour ta précision, et je me rends compte que je la connais donc déjà, je me demandais d'ailleurs à quoi rimaient ces oranges à moitié oranges à moitié sanguines ? en bio en fait on ne trouve quasiment pas de vraies sanguines ;)
C'est un des trucs que j'adore dans ton blog, souvent après un article c'est la chasse au trésor pour aller dénicher tel ou tel produit, telle ou telle adresse.

Mingou a dit…

Ali Gâteau : Merci ! C'est un beau compliment :-)

Solenne a dit…

Même problème avec les oranges, ça tourne au drame quand je n'ai pas ma dose ce matin. J'aime beaucoup cette idée du carpaccio de betterave, ça m'inspire plein de belles choses!

Camille a dit…

J'espère qu'on retournera chez Sanikuya, si tu ne te lasses pas d'ici cet été.
Joël Thiébault, en plus de fournir des pommes de terre qui satisfont enfin mon exigence démoniaque pour les parfums de terre (ses navets sont trop bons aussi), est quelqu'un de très humble, qui se présente comme un jardinier, et officie au marché comme tous ses employés, sans distinction.

Il y a de bonnes et de mauvaises nouvelles : les radis multicolores sont déjà là, les petits violets doux et sucrés, les jaunes plus proches de la terre, les roses piquants et espiègles, et j'espère bien vous approvisionner bientôt. Par contre, les tomates n'arriveront qu'en juillet (ô super désespoir).

Mingou a dit…

Solenne : Merci, je me sens vraiment moins seule dans ma monomanie maltaise.

Camille : Aucun risque que je me lasse. J'aime trop les udon, et de toute façon, il y a les donburi pour varier un peu (mais je n'ai pas encore réussi à goûter leur katsudon, tellement je suis accro aux udon).
Aller faire mon marché dans le 16ème reste impensable, alors je me laisserai tenter occasionnellement par un panier de J. Thiébault chez tousPrimeurs (mais qu'il faudra aller chercher un peu loin de chez moi...).
À vrai dire, je ne suis pas aussi attirée que toi par les "parfums de terre", mais ça me change. J'aime bien.

Camille a dit…

Ha, attention, les paniers tousprimeurs ne sont vraiment pas terribles par rapport à la sélection du marché (que du persil, des choux énormes, des carottes monochromes, et des pommes de terre (en hiver)). (si tu as des requêtes spéciales ou des envies Joël Thiébesques, tu peux m'envoyer un petit mot le vendredi soir, je serai ravie de promener des betteraves, des bouquets d'herbes* ou des radis dans Paris)
* mélisse, civette, estragon, aneth, ciboulette, coriandre...

Mingou a dit…

Camille : Bouhouhouh...
On me trouve déjà zinzin de traverser tout Paris pour du pain, mais alors pour des carottes et des radis, je crois que ce serait surréaliste. (néanmoins, j'en suis tout à fait capable...)

Camille a dit…

Non, mais on peut rationaliser tout ça, histoire que tu n'aies pas (trop) l'air de te déplacer pour des radis (on trouvera bien une station de métro commune).
(en même temps, c'est une folie qui se conçoit tout à fait, j'espère aller toujours au marché d'Iéna même en habitant ailleurs) (je me demande même dans quelle mesure le choix du nouvel habitat sera déterminé par la facilité d'accès à Iéna) (je ferai semblant de ne pas le prendre en considération)